Jour 2 ; après une courte nuit à l’hôtel, nous avions quartier libre ce matin, que nous avons utilisé pour visiter le centre-ville d’Helsinki. Cette ville comporte peu d’immeubles anciens ; la place du Sénat (Senaatintori) concentre les sièges des pouvoirs religieux (église luthérienne Tuomiokirkko), politique (Conseil d’État) et académique (université) avec en son centre une statue du tsar Alexandre II. La presqu’île Katajanokka comprend un quartier avec une architecture Art Nouveau et la cathédrale orthodoxe (Uspenskin Katedraali). Nous avons pu nous régaler de mets locaux au marché couvert avant de rejoindre, non loin de là, la toute nouvelle bibliothèque Oodi.
Bibliothèque au superlatif ouverte en décembre 2018, elle est devenue un véritable point névralgique du quartier, accueillant jusqu’à 10 000 personnes par jour et ayant récemment fêté son millionième visiteur. Elle a coûté 100 millions d’euros pour 10 000 m² et propose 100 000 documents physiques, principalement concentrés au dernier étage.
Trois niveaux composent cette bibliothèque, que nous avons compris de la manière suivante :
- le premier niveau correspond à une utilisation rapide de la bibliothèque : premier accueil, informations sur la ville, emprunt de livres de poche ou nouveautés, retour automatisé, cafétéria, petit espace jeunesse (tapis et jouets), espace numérique pour une utilisation de courte durée, espaces d'exposition, de conférence et de projection...
- le second niveau est adapté à une pratique plus approfondie pour créer (studios d’enregistrement, de photo et de vidéo qui seront bientôt accessibles ; imprimantes 3D, FabLabs, machines à coudre, à imprimer des stickers, salle adaptée à l’accueil d’ateliers cuisine, etc…), travailler seul ou en groupe (salles de travail plus ou moins grandes, réservables et éventuellement équipées d’écrans), jouer (salle ou cabines dédiées au jeu vidéo ou à l’immersion numérique), se rencontrer et se détendre (fauteuils, chaises, gradins…)
- le troisième niveau est dédié aux collections physiques de la bibliothèque (livres, DVD et jeux de société) et accueille neuf arbres (en pot) ! Sur un plateau unique avec une architecture rappelant un pont de bateau, de nombreuses étagères trônent, actuellement vides car Oodi est victime de son succès : notamment grâce à un emprunt jusqu’à 100 documents par carte pour 28 jours renouvelables 5 fois et un abonnement gratuit pour tous les citoyens, 70% de la collection est actuellement empruntée !
La bibliothèque est en effet une institution importante dans la vie des Finlandais : sur 5,5 millions d’habitants, 3 millions utilisent les services d’une bibliothèque publique chaque année (source : Public Librairies 2030). Sur les 36 bibliothèques du réseau intercommunal (appelé Helmet), Oodi n’est certes pas la plus grande ni la plus fournie en documents, mais elle attire de nombreux visiteurs de la ville et de l’extérieur (Finlande et international) ; c’est un symbole fort pour le peuple finlandais car elle a été construite à l’occasion du jubilé de l’indépendance. Les Finlandais rappellent souvent qu’elle a été construite avec la participation intellectuelle et fiscale des citoyens et donc se l’approprient largement. L’escalier central souligne qu’elle appartient à tous grâce à des mots inscrits préalablement choisis par le peuple.
50 bibliothécaires assurent le service 7 jours par semaine, renforcés régulièrement par des vacataires. 10 personnes suffisent pour garantir l’ouverture du bâtiment sur 80h d’ouverture hebdomadaire. L’équipe a été sélectionnée par un jury sur le réseau des bibliothèques et a bénéficié de formations développant leur polyvalence : accueil de groupes, renseignement basique ou plus approfondi, organisation d’actions culturelles, assistance aux usagers pour l’utilisation des machines de création, formations à l’e-administration… Même s’ils participent par des suggestions et des réunions (offices) à l’enrichissement des collections, les acquisitions, la commande, la réception, le catalogage et l’équipement sont sous-traités et ils n’ont pas à s’en charger. La polyvalence reste cependant encore à améliorer, puisque certains espaces (studio d’enregistrement, etc) sont encore inaccessibles au public faute de compétences techniques dans l’équipe.
À noter : la Finlande dispose depuis les années 1920 d’une loi sur les bibliothèques, renforcée en 2017 par le Public Libraries Act qui impose une gratuité totale des bibliothèques dans le pays et oblige les municipalités à offrir un service de lecture publique (lieu physique ou bibliobus). Faire appel à des bénévoles en bibliothèque ne fait pas du tout partie de la culture finlandaise ; en revanche, certaines bibliothèques fonctionnent sur des plages horaires réservées ou en totalité sans personnel, le public ayant accès aux espaces grâce à sa carte et pouvant emprunter en toute autonomie. La robotique est semble-t-il particulièrement utilisée à Oodi pour exécuter certaines tâches de manutention (ce qui permet peut-être d’économiser sur la masse salariale…), mais nous ne l’avons pas vue à l’œuvre.
Nous avons beaucoup apprécié cette visite très inspirante ; l’échange très enrichissant avec notre guide Aïcha et Antti Sauli du service international du réseau nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement d’Oodi et au-delà de la culture finlandaise des bibliothèques. Nous gardons en tête l’analogie chère à Aïcha : c’est sans doute grâce à leur fréquentation massive des bibliothèques que les Finlandais sont toujours premiers dans les classements du niveau d’éducation de la population…
