Portrait de conservateur : Alexandre Massipe (Ville du Perreux-sur-Marne)

Francisco de Goya. Le chien, 1819-1823 (Musée du Prado)
Francisco de Goya. Le chien, 1819-1823 (Musée du Prado)

Alexandre Massipe est directeur de La Médiathèque au Perreux-sur-Marne. Lauréat en 2014 du concours de conservateur territorial de bibliothèques, il a d'abord été chargé de mission à la préfiguration du réseau de lecture publique Lunévillois, avant de prendre la direction de La Médiathèque du Perreux-sur-Marne en janvier 2017. Depuis, la médiathèque opère une mue accélérée.

  • Pouvez-vous présenter votre parcours ?

J’ai fait des études en philo... en esthétique... j’ai un doctorat, j’ai été qualifié maître de conférence en esthétique et sciences de l’art. J’avais fait des études d’art du spectacle avant ça, des études d’histoire de l’art aussi... enfin bon, pas mal de choses - je me cherchais - des études de cinéma en parallèle... j’ai fait l'École de Bibliothécaires-Documentalistes aussi en cours du soir. On apprenait beaucoup à cataloguer, tout ça, c’était il y a sept ans donc je pense que ça a changé.
Mon premier poste c’était un CDD ; moi je n’ai pas eu un poste tout de suite. Comme on ne trouvait pas l’année où je suis sorti de l’école c’était un peu tendu les postes apparemment... et puis j’ai échoué à certains entretiens de façon assez... large... et du coup j’ai pris un CDD en Lorraine pour une rénovation complète d’établissement en tant que conservateur chargé de mission auprès du président de l’agglo, pendant un an. Ça s’est bien passé et après il voulait prolonger mon CDD ; moi j’ai considéré que non.
Et puis j’ai postulé au Perreux. J’y ai postulé sans vraiment savoir qu’il y avait un chantier. Comme quoi... Ils ne cherchaient pas forcément un conservateur. Et puis quand ils ont vu mon expérience de rénovation... voilà j’ai passé trois entretiens... et je suis là depuis deux ans et trois mois. Moi j’étais des derniers avant la scission Enssib-INET. Il y avait l’INET, mais peu de temps, comme pour vous l’Enssib aujourd’hui sans doute.

  • C’est quoi pour vous la bibliothèque de vos rêves ?

En fait je crois que je n’en ai pas vraiment, enfin j’ai envie de dire, mais c’est peut-être un peu bête un peu démago, ce qu’on veut mais moi pour l’abstraction je ne suis pas très fort, euh... je pense que c’est celle que je dirige aujourd’hui, voilà. Avec ses faiblesses, avec ses difficultés tout ça mais c’est ce qui est intéressant.
Moi la bibliothèque de mes rêves ou ce que j’appelle la “bibliothèque de colloque” d’une façon peut-être un peu méchante, ça ne m’intéresse pas. Si j’avais une bibliothèque idéale ce serait une bibliothèque où le plus de monde possible vient, se rencontre, autour du livre mais aussi du jeu vidéo, des jeux de société, d’un café, d’une appli de drague, de je ne sais pas quoi... qui n’est pas donneuse de leçon quoi. Voilà, je ne voudrais pas qu’ici ce soit comme ça. Mais du coup la médiathèque idéale ou de mes rêves c’est ce qu’ici j’ai pu faire.
Et la bibliothèque idéale aussi, en tant que manager c’est une bibliothèque où les agents, les collègues, se sentent bien, ont envie de venir le matin, de partager, de faire de la médiation... parce que ça se sent ça aussi... l’accueil du public c’est très important. Et même si, parce qu’il faut se rendre compte que c’est pas facile, il y a vraiment des gens parfois qu’on a envie de ... parce qu’il ne suffit pas de dire que les gens ne sont pas aimables, il faut voir comment les gens parlent... la mauvaise foi, l’irrespect... voilà, c’est pas facile.

Après je crois qu’il n’y a pas de bibliothèque idéale, il y a une bibliothèque qui répond aux attentes d’un territoire. [...] La littérature professionnelle souvent elle me tombe des mains. La réalité est beaucoup plus triviale et en même temps beaucoup plus complexe. Je crois que je suis un piètre théoricien, j’essaie d’être un peu meilleur praticien.

  • Quelle est selon vous la (les) qualité(s) majeures(s) d’un conservateur ?

Oui, d’un conservateur ou d’un directeur en général...
La patience ? [rire] Pas que pour les équipes, les élus aussi. Et pour eux se “coltiner” un conservateur, hein ? Moi ça se passe très bien, mais c’est quelque chose de pas facile. La patience d’expliquer, réexpliquer, la pédagogie, l’empathie...
L’autorité - qui n’est pas l’autoritarisme... Peut-être le charisme, je ne sais pas ce que c’est... Le fait d’aimer son équipe quoi. C’est peut-être d’être bien dans ses baskets...
La clarté aussi peut-être, ce que je n’ai pas forcément. L’organisation. Le fait de donner un cap... c’est pas très original tout ça.
Et puis un peu d’être multitâche quoi, d’être capable de passer d’un truc à l’autre. Parce qu’il y a aussi le rapport à la direction générale, le rapport à un DGS qui peut s’y connaître et ici c’est le cas, comme il peut n’en avoir rien à faire.

  • Y-a-t-il des choses que vous avez changées dans votre manière de travailler au cours de votre carrière ?

Au début... bon c’était à Lunéville, ça a été très compliqué pour moi, ça a été très difficile... mais je le referais si c’était à refaire... j’avais eu tendance à travailler dans mon coin et à plaquer ça sur mon équipe. Ça m’est arrivé une fois, hein, ça a duré deux mois.
Il y en a une qui a craqué en réunion, qui a dit “ça va pas”, et du coup on a parlé.
Oui... être vraiment dans : “c’est mieux qu’ils fassent eux plutôt que moi”. Moi en fait je me dis qu’un bon manager il n’a rien à faire sinon à vérifier que tout fonctionne, ce qui est déjà un gros boulot, et à impulser les choses. Moi je ne crois pas trop par exemple aux qualités techniques ou techniciennes. Je pense que je n’en ai pas beaucoup donc ça tombe bien. C’est important peut-être de déléguer de plus en plus, faire confiance. Tu te détends forcément au fur et à mesure. C’est long de connaître une équipe en fait, c’est pas six mois. Et la connaît-on jamais vraiment ?
C’est une question philosophique [rire] se connait-on déjà soi-même [rire] Bref, mais c’est aussi la confiance qui fait ça. Ah ! Et je pense que l’humour c’est important ! Moi j’aime bien faire des blagues. Je pense que c’est hyper important de “perdre” du temps, avec eux. Mais tu enregistres [rire]. Il y avait une collègue qui m’avait dit “tu sais ici c’est pas les urgences de l’hôpital”. C’est une chose qui m’avait marqué. [...]
Ce qui est génial ce sont les rencontres avec les professionnels... Delphine Quéreux, Anne-Marie Bock, Véronique Noël, Malik Diallo...Véronique Vassiliou. Peut-être parce que j’ai, j’avais, un rapport très maître-élève. Ça m’a marqué, mais c’était des choses que je n’avais pas touchées du doigt, et dont je n’ai pas compris sur le moment que c’était important. Le conseil de professionnalisation par exemple c’est quelque chose que je trouvais très très bien. On avait eu aussi un truc privé de coaching-CV-lettre de motivation-entretien, avec Agnès Coulier, et l’INET nous payait quelques heures auprès d’elle à Paris ; ça m’avait fait beaucoup de bien. A Rillieux-la-Pape aussi Cécile [Derioz], à Villefranche... l’équipe de Villefranche. A la BPI Christophe Evans. Ça c’est important.
Après les powerpoints, euh... [rire].

  • Quelle est votre source de satisfaction au travail ? Quel est votre meilleur souvenir dans le cadre de votre profession ?

De travailler en service public, en lecture publique enfin dans la culture en général, de faire avancer un établissement vers davantage de fréquentation, davantage d’heures d’ouverture, davantage d’offre proposée aux usagers. Faire un job d’utilité publique c’est important pour moi.

  • Qu’est-ce qui vous semble important dans la formation d’un conservateur territorial ?

Les stages. Il ne faut surtout pas donner des solutions définitives à tout et gravées dans le marbre. Les tunnels de Powerpoints avec des solutions tout ça ne marche pas. Mais là je réponds en négatif, qu’est-ce qu’il faut ne pas faire... L’important c’est de dire que dans une formation la rencontre avec de vrais professionnels, des discussions sur des projets c’est important... et des vrais projets. [...] Moi par exemple je ne crois pas à la science des bibliothèques. J’ai un peu de mal avec ça.
Les rencontres, et rien n’est plus passionnant et plus complexe que le réel. Rien ne remplace l’expérience humaine ou faite par soi-même.

  • Si vous étiez une oeuvre d’art, laquelle seriez-vous ?

Francisco de Goya. Le chien, 1819-1823 (Musée du Prado)