La participation au niveau stratégique : une utopie?

La question du jour : n'est-il pas utopique d'envisager, au niveau stratégique, la mise en œuvre de démarches participatives ? Peut-on élaborer son projet d’établissement, son projet scientifique et culturel, en misant sur la participation et la co-construction ?


D'un côté, se doter d'un projet d'établissement ou d'un projet scientifique et culturel, c'est la garantie d'une meilleure cohérence, d'une meilleure pertinence de l'offre de lecture publique, d'une plus grande légitimité au sein d'une collectivité par rapport aux autres services et équipes, de subventions plus facilement accessibles.

D'un autre côté, le travail en mode participatif est souvent gage d’adhésion et de prise de recul pour le groupe en ce qu’il permet à chacun de verbaliser son rapport à un territoire, à un métier, au lieu bibliothèque. D’ailleurs, le Petit vademecum sur le projet scientifique et culturel, éducatif et social pour un établissement de lecture publique le précise bien : « un projet scientifique et culturel doit faire l’objet d’une concertation entre l’équipe de direction d’un établissement, son personnel, les services de la collectivité et les élus. »

Néanmoins, entre participation, co-construction et concertation, au niveau stratégique, on ne se situe pas toujours au même endroit. C’est ce qu’on tâchera de montrer ici.

 

Rappelons tout d’abord que la volonté de faire participer les agents d’un établissement de lecture publique à l’élaboration d’un projet stratégique, même si elle est motivée par l'intérêt du service public et soutenue par des équipes engagées, peut achopper sur certains écueils. D'une part, le réalisme de la démarche et sa faisabilité dépendront nécessairement d'un contexte humain et managérial, de l'histoire d'un établissement et de sa collectivité de rattachement. D'autre part, confondre les rôles et responsabilités de chacun, ajouter à des charges de travail parfois déjà importantes, créer involontairement des attentes fortes de la part de l'ensemble des agents sont des risques certains. Potentiellement déceptive, la démarche demande donc dès son lancement à être bien partagée avec les équipes : dans ses fins, ses objectifs, ses publics, ainsi que dans la manière dont elle se déploiera et dont elle grandira dans le temps. Aussi faudra-t-il initier autour du projet une communication claire et transparente, tenir une posture pédagogique, expliquer les finalités de chacun des temps participatifs et rappeler que, si le chemin est commun, la prise de décision finale sera portée et assumée par le responsable de l’établissement en lien avec un directeur de la culture, un directeur général adjoint, un élu. Elle devra donc se faire impérativement en cohérence avec les politiques culturelles menées dans la collectivité.

Par ailleurs, il faudra également avoir une vision claire des différentes formes de participation, se donner des objectifs précis et réalistes, et, à chaque étape de l'élaboration du projet scientifique et culturel, revoir les objectifs de partage et de participation pour les adapter. En amont, se (re)plonger éventuellement dans les travaux de la consultante américaine Sherry R. Arnstein (1969) ou du psychologue Roger Hart (1994) : tous deux ont pensé et conceptualisé des échelles de la participation. Leurs réflexions, qui s'ancrent certes dans des contextes bien différents de nos bibliothèques – la participation citoyenne et celle des enfants – sont en effet toujours d'actualité. Elles peuvent aider, dans tous les cas, à répondre à un certain nombre de questions : quels sont les objectifs du/des processus participatif(s) envisagé(s) ? Quelles en sont les limites ? Quels agents souhaite-t-on impliquer, à quels moments, à quels niveaux ? Enfin, à quelle(s) forme(s) de participation pensait-on ? Se situe-t-on plutôt du côté de la concertation, de la consultation ou souhaite-t-on simplement informer et expliquer ? Espère-t-on que le projet final sera celui du collectif ou simplement qu'il sera partagé par le collectif ? Des différences sémantiques d'autant plus importantes que derrière le vocable « participation », élevé aux nues dans les nouvelles formes de management, se cache en effet un certain nombre de réalités, bien différentes les unes des autres, de l’information à la co-construction, co-décision ou décision partenariale (degré le plus intégré de la participation) en passant par l’information, la consultation (au sens de sondage), la concertation (une consultation plus ouverte dans son objet), le partage (mêlant information et concertation).

Enfin, si l’on souhaite effectivement aller vers un projet le plus co-construit possible, disons ceci : pour passer de l’utopie de la co-construction à la co-construction réussie d’un projet au plan stratégique, il faut un objet très concret, à co-écrire, co-rédiger, avec un périmètre bien délimité, des objectifs précis, et surtout, un groupe capable de travailler ensemble en parlant la même langue – soit un groupe relativement restreint (on conseillera une dizaine de personnes) et assez homogène, dans les profils et l’assertivité.

 

Aussi, pour un projet d’établissement ou un projet scientifique et culturel, une première option sera, en fonction des équipes, de mettre en œuvre une participation différenciée, s’articulant sur deux groupes d’agents. Au niveau du diagnostic territorial, de l’état des lieux de la lecture publique et de la vision stratégique, on visera plutôt à partager, à discuter, à compléter avec l’ensemble des personnels les premières conclusions, pré-rédigées, afin de les consolider. Plus on passera du stratégique à l’opérationnel, plus on pourra, avec ce groupe, investir des formes de participation plus intégrées, proches d’un paradigme dans lequel le pouvoir de « construction » serait mieux réparti entre tous les partis au projet, des agents au public, en passant par la direction d’établissement et l’équipe municipale. En parallèle, une équipe projet restreinte pourra cependant amender et corriger l’ensemble des documents dès l’entrée dans les phases de diagnostic, donnant vraiment corps – et sens – à l’idée de co-construction.

Une seconde option sera de s’inscrire, dès l’entrée dans la phase diagnostique, dans un paradigme de co-construction très intégré. Cette option mènera à la réalisation d’un diagnostic territorial et d’un état des lieux de la lecture publique véritablement « co-construits ». Elle se poursuivra par la cristallisation et la formalisation d’une vision stratégique reposant davantage sur la direction de l'établissement. Enfin, elle se clôturera sur une phase opérationnelle dans laquelle les formes de participation investies seront également fortement intégrées.

Sans doute la seconde option nous semble-t-elle plus séduisante ; elle est en tout cas plus chronophage, plus consommatrice de temps de travail, plus fine à tisser et mettre en œuvre. Aussi, c’est bien la première option qui a été expérimentée par un groupe d’élèves conservateurs territoriaux de bibliothèques lors d’un stage en collectivité – aboutissant à un diagnostic territorial, à un état des lieux de la lecture publique et à des orientations stratégiques partagés avec l'ensemble des équipes.

 

Agathe B., vendredi 30 septembre 2016

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